L’exil de ceux qui fuient l’inhumain

Un reportage à la frontière serbo-croate

En Serbie, des dizaines de milliers de Syriens, d’Afghans, d’Irakiens ou d’autres populations – 140’000 en septembre selon le HCR - transitent pour rejoindre l’Europe. Fuyant principalement la guerre, ces réfugiés sont tous embarqués dans la même galère, chacun avec sa propre histoire. Reportage à la frontière serbo-croate où solidarité et dignité règnent en maître dans cet exode hors du commun.

Après un trajet de 8h en bus, les personnes réfugiées peuvent s'approvisionner en biens de première nécessité.

Après un trajet de 8h en bus, les personnes réfugiées peuvent s'approvisionner en biens de première nécessité.

Ce pourrait être nous !

Il est 11h30, un bus à deux étages débarque en rase campagne, non loin de la ville serbe de Sid en provenance de Preshevo, la frontière macédonienne. C’est le dix-septième ce matin. Après huit heures de route, les 65 passagers originaires de Syrie, d’Afghanistan, ou d’ailleurs sont épuisés et affamés. On les enjoint de gagner au plus vite la frontière croate. Ils prennent rapidement de quoi se ravitailler, se soigner ou se vêtir aux stands des organisations humanitaires.

Sur Suhaila en fait partie. Cette Syrienne de 30 ans voyage depuis dix jours seule avec ses quatre enfants ainsi que les quatre filles de sa sœur. Au sortir du bus, elle remplit des sacs de vivres : bananes, pommes, pain, barres énergétiques, bouteilles d’eau, serviettes humides, brosses à dents. Elle demande un pantalon pour son garçon de dix ans, prend des collants pour ses fillettes puis installe une couverture par terre pour manger quelque chose avant de traverser la frontière. Avec des gestes sûrs, elle nourrit la plus petite de 3 ans, prend la peine de jeter les déchets à la poubelle, nettoie la bouche de chacun, enfile une jaquette au garçon, attache les cheveux d’une autre. Surtout, ne pas regarder en arrière ni penser à son mari dont elle a perdu la trace. Elle pare au plus pressé. Son arrêt a duré 15 minutes à peine, et les voilà de nouveau en route, rassasiés, propres, couverts, prêts à repartir sourire aux lèvres.

L'état de toilettes, nettoyées qu'une fois par semaine, est catastrophique.

L'état de toilettes, nettoyées qu'une fois par semaine, est catastrophique.

« Tous les jours, il y a des enfants et des femmes qui me touchent, témoigne Novitca Brankov, une volontaire distribuant des vivres et des biens de première nécessité pour Ecumenical Humanitarian Organisation (EHO), partenaire de l’Entraide Protestante Suisse (EPER). Impossible d’être indifférent. Ce pourrait être nous ! » Les bus se suivent, déversant les uns après les autres un flot ininterrompu de réfugiés. Plusieurs milliers par jours, tous embarqués dans la même galère, mais chacun avec sa propre histoire.

Fatimah, une Afghane de 21 ans est mère d’un petit Hasina de deux ans qu’elle porte sur le ventre. Elle est en route depuis deux mois et rêve de rejoindre la Suède où se trouve son frère. Ils sont six avec son mari, son beau-frère et ses belles-sœurs. Ensemble, ils ont fui Kaboul et les menaces des talibans avec un passage très pénible en Iran. On les retrouvera deux heures plus tard en Croatie, dans un camp de transit militaire clos telle une prison et surveillé par des dizaines d’hommes en uniforme. « Stop ! », « En ligne ! », hurlent-ils pour obtenir des files de 50 pour rembarquer les réfugiés dans un bus puis dans un train qui les conduira à la frontière hongroise de Beli Manastir, direction Autriche. Pas question de s’éterniser en Croatie !

Fatimah, 21 ans, a fui l'Afghanistan il y a deux mois avec son fils de deux ans.

Comme une prison, le camp de transition en Croatie est isolé et surveillé par des dizaines d'hommes en uniforme.

Fatimah, 21 ans, a fui l'Afghanistan il y a deux mois avec son fils de deux ans.

Comme une prison, le camp de transition en Croatie est isolé et surveillé par des dizaines d'hommes en uniforme.

Ensemble, on est plus forts !

A l’intérieur, dix jeunes Syriens voyagent avec trois enfants. Ces compagnons d’infortune se sont rencontrés en Turquie : « On a cru mourir dans la mer, entre la Turquie et la Grèce. Des mafieux nous ont dévalisés sur la route et quand on est arrivé en Serbie, on avait faim mais il n’y avait ni nourriture ni WC. Ensemble, on est plus forts !» Celui qui parle est dentiste. Il a obtenu son diplôme en 2012, mais n’a jamais pu exercer en Syrie, à cause de la guerre.

Stress des arrivées nocturnes

Retour à la frontière serbo-croate de Sid. Il fait nuit noire. Seuls les stands de quelques ONG encore présentes éclairent faiblement. Toutes les dix minutes, un bus déverse son lot de réfugiés. Pas moins de 4000 arriveront cette nuit. L’inquiétude est palpable. Des ordres sont hurlés sans forcément être compris. Les gens ont peur de se perdre dans la nuit, et spécialement les parents de jeunes enfants. « Où sommes-nous? » « Où allons-nous ? » questionnent ces nouveaux arrivants. Il est 21 heures et la température descend à 16°. EHO a démarré la distribution de couvertures depuis deux jours. Il y en a 150 par nuit. « On essaie vraiment de les donner aux plus vulnérables », explique Borka Vrekic, coordinatrice du projet. Un bénévole pousse une femme en chaise roulante, un proche fixe une couverture sur ses genoux. Une bénévole tchèque passe avec un plateau pour offrir des thés chauds. Ce qui la motive ? Se savoir utile et les sourires qu’elle reçoit en retour. L’entraide entre les gens est incroyable. Tous ou presque voyagent en groupe et prennent soin les uns des autres. Cette solidarité, doublée d’une grande civilité – très rares sont les bousculades - sont tout ce qui leur reste.

Toutes les dix minutes, un bus: cette nuit, 4000 personnes réfugiées sont arrivées.

Des parents et leurs jeunes enfants ont peur de se perdre une fois la nuit tombée.

L'épuisement sur le visage de ces individus. La faim, la fatigue et le froid de la nuit les accablent.

Toutes les dix minutes, un bus: cette nuit, 4000 personnes réfugiées sont arrivées.

Des parents et leurs jeunes enfants ont peur de se perdre une fois la nuit tombée.

L'épuisement sur le visage de ces individus. La faim, la fatigue et le froid de la nuit les accablent.

Objectif : vivre(s)

Le surlendemain, le temps s’est gâté. Il a plu cette nuit et un vent froid glace les mains. 4000 personnes ont à nouveau transité par là cette nuit et les couvertures manquaient. Il fait 11°. L’organisation partenaire de l’EPER distribue des pèlerines pour faire face aux pluies intermittentes. Certains réfugiés sont en shorts, d’autres en nu-pieds. Une jeune Somalienne essaie des bottes de pluie, peut-être les premières de sa vie, et jette ses vieilles baskets à la poubelle.

Tout bien matériel essentiel est bienvenu, mais seuls les objets utiles dans l’immédiat peuvent être conservés. C’est la règle de cet exode, véritable drame humain, où les gens ont tout perdu mais ne peuvent s’encombrer de choses qui ne sont pas strictement indispensables. Il en va de même avec la nourriture. « C’est un défi, explique Borka Vrekic, cela explique pourquoi nous ne distribuons pas des kits complets. Nous préférons laisser les gens prendre ce qu’ils utiliseront réellement pour éviter le gaspillage et la surcharge. »

Une fois les réfugiés équipés avec des pèlerines, des couvertures et des vêtements chauds, leur périple continue.

Pour éviter de se surcharger, ils ne prennent que l'essentiel.

Une fois les réfugiés équipés avec des pèlerines, des couvertures et des vêtements chauds, leur périple continue.

Pour éviter de se surcharger, ils ne prennent que l'essentiel.

Il est temps pour les réfugiés de s’aligner en rangs de 25 sur deux files pour traverser la frontière sous l’œil des policiers croates. Comment un tel exode peut-il encore exister au 21ème siècle ? Que vont devenir Sur, Fatimah, et toutes ces personnes sur la route de l’exil ? L’Occident, symbole de liberté, de démocratie, de paix et de travail saura-t-il se montrer à la hauteur de l’idéal qu’il défend ? Comment prouver notre humanité? C’est ce que fuient les réfugiés qui doit nous effrayer, et non les réfugiés eux-mêmes.

Ce ne sont pas le réfugiés qui devraient nous effrayer, mais plutôt le fait que des personnes soient obligées de fuir.

Ce ne sont pas le réfugiés qui devraient nous effrayer, mais plutôt le fait que des personnes soient obligées de fuir.

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