Genève : les personnes mongoles
dans une grande précarité
Aide d’urgence coronavirus
Plus de 2500 personnes qui font la queue pendant des heures pour recevoir un sac de nourriture d’une valeur de CHF 20, c’est la photo choc qui a fait la une en période de confinement à Genève ce printemps. Cet instantané a permis de révéler un angle mort de la Genève internationale, siège de l’ONU et des droits humains : des milliers de personnes, souvent sans papiers, y vivent dans la précarité, joignant tant bien que mal les deux bouts avec des petits boulots pour les hommes et des travaux domestiques pénibles payés chichement à l’heure pour les femmes. Il a fallu que le pays se mette à l’arrêt pour que le grand public prenne conscience de cette réalité.
« Même moi j’ai été choquée. Je croyais bien connaître la précarité des Mongols à Genève, mais je n’avais pas idée que c’était à ce point », témoigne Otgonchimeg Demchigsuren, elle-même originaire de ce pays, qui travaille auprès de cette communauté pour les Permanences volantes de l’EPER à Genève. Et pourtant, celle que l’on surnomme Ogi côtoie régulièrement des personnes mongoles. Son travail consiste à orienter les personnes souvent sans papiers vers les bons services socio-sanitaires et à leur expliquer le fonctionnement de l’assurance-maladie, de l’école ou des allocations familiales. Dans une journée, elle peut traiter une dizaine de situations complètement différentes. Et cette femme qui est aussi traductrice pour la Croix-Rouge n’hésite pas à les accompagner dans leurs démarches si nécessaire.
Appels désespérés avec les pertes d’emploi
Mais avec le confinement, la situation s’est aggravée. Ogi a reçu des appels en continu de personnes désespérées qui ont perdu leur travail du jour au lendemain : « Des gens pleuraient, d’autres laissaient libre cours à leur colère, c’était très dur pour eux. Ils ne savaient pas comment payer leur loyer, ni comment acheter à manger. » De mars à juillet, les Permanences volantes ont orienté les personnes dans le besoin vers les institutions appropriées du canton et enregistré les demandes de 30 à 40 « colis du cœur » par jour, contre 8 à 10 par semaine en temps normal. Ces colis hebdomadaires sont en réalité des bons d’achat pour les supermarchés d’une valeur de CHF 50 à 150, selon le nombre de personnes dans le foyer. Normalement envoyés à domicile, ils sont réceptionnés dans les bureaux de l’EPER par les personnes qui ne disposent pas d’une boite aux lettres.
Ulzii Jargal, une femme mongole de 54 ans, vit seule à Genève avec son fils de 17 ans. Elle qui peine déjà à boucler les fins de mois avec ses tâches ménagères dans trois familles différentes, ses babysittings occasionnels et l’accompagnement d’une personne âgée en EMS s’est retrouvée sans emploi du jour au lendemain. L’EMS était inaccessible et ses employeurs lui ont simplement dit de ne plus venir. Seul un monsieur chez qui elle fait le ménage deux heures par semaine et qu’elle ne croise jamais a continué à la payer. Quant à la famille chez qui elle travaille le plus, dont elle garde les enfants toute l’année et qui connaît bien sa situation personnelle, elle a purement et simplement cessé tout payement, soit un manque à gagner de CHF 2400. « En Mongolie, il y a la solidarité de la famille proche, mais ici, je suis toute seule. Heureusement que l’EPER a pu m’apporter un soutien. J’ai pu recevoir les colis du cœur chaque semaine et Ogi m’a adressée à la Croix-Rouge pour qu’elle prenne en charge mon loyer. Cette aide, tant matérielle que psychologique, est très importante. Elle m’a tranquillisée et permis de continuer sans paniquer. »
Nergui Enebish bénéficie aussi de l’aide de l’EPER. Ayant accouché de son deuxième enfant il y a peu, elle n’avait plus de travail (ni de congé maternité). Son compagnon, qui fait des petits travaux chez des particuliers – jardinage, peinture, bricolage – n’a pu conserver qu’un seul de ses emplois pendant la période de confinement. Les colis du cœur enregistrés par les Permanences volantes ont été d’une grande aide pour sa famille. Comme une nouvelle famille semble prête à l’embaucher, Nergui va regarder avec Ogi comment déclarer son travail pour pouvoir bénéficier d’une couverture sociale. « Pour moi qui parle si mal le français, c’est une aide considérable que d’avoir Ogi à mes côtés. Elle m’a déjà accompagnée à l’hôpital et à l’école pour mon aîné. »
Confinement : plus de salaire pour les femmes de ménage
Contrairement à d’autres domaines, le travail domestique n’a pas été interdit officiellement pendant le confinement. « Cela a donné lieu de à de nombreuses confusions, explique Clotilde Fischer, responsable du service Chèques-emploi de l’EPER. Il y a ceux qui ont décidé d’emblée de payer leur employé.e sans qu’il ou elle ne vienne. Mais beaucoup ont pensé à tort que les ménages, le babysitting et les autres travaux à domicile étaient interdits alors qu’ils avaient l’obligation légale soit de continuer à fournir du travail à leurs employés s’ils pouvaient assurer des conditions de sécurité, soit de leur verser un salaire. »
L’EPER s’est efforcée de transmettre cette information aux employeurs inscrits chez elle et de la diffuser via les médias. « Il y a eu pas mal de gens qui ont dit “avoir oublié de payer les salaires de mars et avril” et qui les ont payés rétroactivement. Certains employés nous ont aussi dit avoir été réglés par plusieurs de leurs employeurs après l’article paru dans 24 heures », se réjouit Clotilde, consciente que dans ce domaine, c’est la méthode des petits pas qui fonctionne. « Il reste encore difficile pour les employeurs domestiques de concevoir qu’ils ont des devoirs envers leurs employé.e.s, notamment de les payer en cas de maladie ou si leur jour de travail tombe sur un jour férié, choses qu’on ne remet pas en question lorsque l’on est soi-même employé.e. »
A l’heure du déconfinement, Ulzii n’a pas récupéré tous ses emplois. « Les visites à l’EMS ne sont toujours pas possibles, et comme l’une de mes employeuses est enceinte, elle n’a plus besoin de moi car elle a cessé de travailler. Quant à l’autre famille, elle a réduit mon temps de travail car la mère n’a repris son emploi que partiellement. » Pas de répit pour les communautés philippines, mongoles et latino-américaines de langue espagnole et brésilienne, dont s’occupe les Permanences volantes à Genève.
Interview de Lisandro Nanzer, responsable des Permanences volantes
Interview de Lisandro Nanzer, responsable des Permanences volantes
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