Quand les sans-papiers sortent de l’ombre

Opération Papyrus

L'opération Papyrus opère un changement de paradigme pour les sans-papiers à Genève; ils peuvent enfin apparaître au grand jour s'ils remplissent les critères posés par le Conseil d'Etat. Les Permanences volantes ont ouvert un guichet pour les aider dans leur processus de régularisation. Témoignages.

Avoir un papier, ça change tout pour moi!

Maria Elena Ledezma Montaño a quitté sa Bolivie natale en laissant ses quatre garçons de 4 à 10 ans à la garde de sa belle-mère. Alors qu'elle pensait ne rester que trois ans en Suisse, elle est ici depuis 14 ans dans la clandestinité! Et cette femme de 47 ans n'est pas prêt de partir: « Je n'ai pas le choix. Comment ferais-je autrement pour faire vivre ma famille, financer les études de mes fils et payer les médicaments pour soigner le diabète de ma belle-mère? »

Genève jour le rôle de précurseur

C'est par l'un de ses employeurs que Maria Elena a entendu parler pour la première fois de Papyrus, l'opération pilote inédite de régularisation des travailleuses et des travailleurs sans statut légal à Genève et d'assainissement des secteurs touchés par le travail au noir et la sous-enchère salariale. Du jamais vu en Suisse! « Tous mes employeurs m'encourageaient à entreprendre des démarches de régularisation mais j'avais peur se sortir de la lumière, peur de me faire remarquer. » Pendant toutes ces années, cette femme alignait les ménages déclarés par ses fidèles employeurs à Chèque-service mais vivait la peur au ventre tout le temps tellement elle craignait un renvoi.

Grand pas contre l'arbitraire

Au lancement de Papyrus, une séance d'information a été organisée le 28 février 2017 au Palladium. « C'était noir de monde, témoigne un participant, il y avait plus de 2000 personnes et comme tout ne pouvait pas entrer, les syndicats ont aussi fait une information dehors avec des portes-voix sous la pluie! » Pour les syndicats et les organisations actives auprès des sans-papiers à Genève, l'opération Papyrus correspond à une avancée majeure. « Après 15 ans de lutte - dix pour les Permanences Volantes créées pour répondre au plus près des besoins de cette population précarisée - Genève fait un grand pas contre l'arbitraire et l'hypocrisie », se réjouit Gaëlle Martinez, responsable des Permanences Volantes de l'EPER.

Mais la démarche n'est pas aisée pour tous: « nous rencontrons beaucoup de personnes sous l'emprise de leur employeur et qui ont un devoir de loyauté à leur égard, poursuit Gaëlle. Ils m'ont beaucoup aidé est une phrase qui revient souvent, même si ces personnes ont été exploitées pendant des années. On doit mettre en garde sur les effets positifs comme sur les suites plus délicates d'une régularisation, comme le risque de licenciement. »

Cinq critères bien précis

Pour l'obtention du permis B, les bases légales restent les mêmes qu'autrefois. Ce qui change, c'est que des critères objectifs ont été posés. En résumé, les sans-papiers doivent pouvoir justifier d'un séjour ininterrompu de cinq ans pour les famille avec des enfants scolarisés (dix pour les autres), travailler, être indépendant financièrement, avoir un niveau A2 oral en français et ne pas être sous le coup d'une condamnation pénale. La constitution des dossiers prend du temps et n'est pas aisée. Pendant dix ans, ces personnes ont été cachées sans droits, et du jour au lendemain, elles doivent tout dire et même prouver tout ce qui a été tu jusque-là. Une chose qui ne pardonne pas est un départ du pays durant ces années de séjour dont il faut prouver la continuité. Le comptage des cinq ou dix ans de présence risquerait d'être remis à zéro.

Avant, je vivais cachée, je pleurais tout le temps. Avec mon permis, je marche la tête haute.

Honte d'être au noir

Maria Elena a consulté les Permanences Volantes pour constituer son dossier. Celui-ci a été déposé le 12 juin. Jusqu'au 25 septembre, c'était l'angoisse de l'attente. « Je ne dormais plus, j'étais encore plus stressée qu'avant. Jusqu'au jour où j'ai eu la bonne nouvelle de Gaëlle. J'avais peine à y croire! Après toutes ces années à avoir honte d'être au noir. Avoir un papier, ça change tout pour moi! Je dors mieux, je peux faire des projets. Maintenant, j'ai des droit. Et je suis plus souriante aussi! »

La famille Ribeiro a aussi fait appel aux Permanences Volantes pour demander un permis. Ce couple de Brésiliens est venu en Suisse en 2004. Grâce à sa sœur déjà installée en Suisse, Andreia a rapidement trouvé des ménages à faire. Pour Emerson, bien que disposant d'une expérience d'électricien automobile, c'était plus difficile. « Sans permis et sans parler français, j'avais de la peine à me débrouiller. » Les contacts de sa belle-sœur l'ont finalement aidé à trouver un job comme maçon d'abord, puis dans le nettoyage pour une entreprise, un poste qu'il occupe depuis des années.

Une capacité d'action incomplète

« Le fait de ne pas avoir de papier ne nous a pas empêché de vivre notre vie de famille - ils ont désormais trois enfants-, de les envoyer à l'école de leur faire vive une vie normale. Personnes autour de nous ne sait que nous sommes sans papiers, même les enfants. Mais pour nous qui le savons, c'est plus compliqué. Il y a toujours des petits désagréments qui à la longue fatiguent et affectent. Même si on a les moyens de faire les choses, on doit demander à d'autres de les réaliser pour nous, c'est frustrant. »

Ce qui change vraiment, c'est qu'on a une vraie identité.

Quand l'opération Papyrus a été médiatisée, ils se sont précipités au Paladium. Les rumeurs aillaient bon train. Certains disaient que c'était un guet-apens pour les expulser. Ils racontaient qu'untel avait été arrêté ou qu'une proche avait déjà reçu son permis, chose impossible car l'opération ne faisait que démarrer! Emmerson était quand à lui plutôt confiant car il avait déjà consulté plusieurs fois le syndicat pour demander une régularisation, jugée prématurée tant que son fils n'était pas au cycle d'orientation.

Selon Gaëlle Martinez, la famille Ribeiro est une exception. Il y a beaucoup de gens qui ont peur de se mettre en règle. « Nous avons commencé à faire témoigner des personnes qui ont déjà reçu le permis dans nos séances d'information pour couper court aux rumeurs. D'ailleurs, je ne dépose que des dossiers où je suis sûre à 100%. »

La gestion des priorités

Gaëlle Martinez a rencontré plusieurs fois la famille Ribeiro afin de réunir tous les papiers. Il ne manquait plus que le test de français oral. Cela aurait pu sembler une formalité pour eux qui le maîtrise très bien. Mais Andreia, alors au terme de sa grossesse, a tenté de négocier sa date d'accouchement pour ne pas rater son examen de français! Elle s'est retrouvée à devoir quitter l'hôpital moins de 36 heures après qu'elle a eu son bébé pour obtenir la dernière pièce qui permettait d'envoyer leur dossier!

Que va changer ce permis? « Nous sommes déjà bien intégrés. Ça ne va pas changer fondamentalement au niveau du travail ou des enfants. Mais on va enfin pouvoir déménager, nous sommes à l'étroit ici! » s'exclame Andreia. A Emerson d'ajoutez: « Ce qui change vraiment, c'est qu'on va avoir une vraie identité. C'est une liberté morale. On pourra aller où on veut sans entrave. »

Quand à Maria Elena, elle va se chercher un studio car cela fait 13 ans qu'elle vit en colocation. Et puis elle penses aller en Bolivie à Noël, faire la surprise à ses garçons, même si elle a un peu peur, après toutes ces années de séparation, de ne pas savoir quoi leur dire.

Suivis post-régulation

Evidemment, il y a aussi d'autres contraintes, comme des frais administratifs suite à la régularisation comme la prise d'une assurance maladie ou de commencer à payer des impôts. « La période de six mois à un an après l'obtention du permis risque de fragiliser leur situation avant que celle-ci ne s'améliore », conclut Gaëlle qui présume que les Permanences Volantes auront encore fort à faire pour informer toutes ces personnes ayant obtenu un nouveau statut.

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